Dans son ouvrage Discours sur le néocolonialisme, Fola Gadet, enseignant-chercheur, écrivain militant et artiste écrit :

«  Le néocolonialisme c’est un empêcheur de maîtriser son destin. C’est un système politique, économique, médiatique et éducatif qui étouffe l’envie de pouvoir de ceux qui ont moins d’armes, moins de moyens, moins de forces et moins d’argent que Lui.

C’est l’utilisation de vos ressources pour leur propre prestige, pour leur propre intérêt, pour leurs loisirs aussi parfois. C’est le racisme sous un vernis de beaux principes universels bien écrits, bien gravés, bien répétés dans les discours officiels toujours pour mieux être détournés. C’est la soumission, c’est l’humiliation déguisée. C’est la médiocrité. C’est la pwofitasyon sans vergogne. C’est le ferme ta gueule et couche-toi là. C’est le tu veux quoi encore, tu veux ressembler à Haïti, c’est ça ! C’est donner à nos élus un semblant de pouvoir pour mieux masquer le vrai pouvoir, celui du néocolonialisme.

C’est la culture des super profits pour quelques familles, pour les mêmes groupes depuis 1848. Ce sont des fortunes et des mairies qui se reçoivent en héritage. Certains n’ont même plus à réfléchir à comment faire, comment faire vivre le néocolonialisme. Pas la peine, ils naissent avec leurs outils, leurs chemises, leurs employés, leurs circuits et leurs comptables en main. Ils naissent puissants. Leur business-plan est fourni par grand père et papa depuis 1635. Au milieu, on retrouve toujours les mêmes à 1 100 euros aux caisses et dans les dépôts. On retrouve les mêmes retraités qui vivent avec 600 euros par mois. C’est la loi qui protège, qui avantage toujours les mêmes. Quand on s’en plaint, on nous dit c’est comme ça partout, ce sont les règles économiques internationales qui font que… On nous dit que le monde est complexe, que le monde change et qu’il faut arrêter de vouloir mettre des règles partout parce que les règles ne vont rien changer.

Le néocolonialisme, c’est l’élimination de production locale. C’est la concentration des surfaces commerciales entre une ou deux familles. Ce sont les exclusivités qui empêchent l’émergence d’autres acteurs aux Antilles et dans d’autres pays néocolonisés. C’est l’exploitation de vos enfants, de vos mers, de vos sols, de votre force de travail. C’est l’amour de vos plages, de vos sites, de vos fruits, de vos Alizés, de votre coucher de soleil mais pas des êtres humains qui ont fécondé le pays, de ceux qui lui ont donné une âme. Le néocolonialisme c’est la clé de la porte de derrière pour rentrer å l’Elysée. C’est un marché, une danse qui fonctionne bien depuis l’esclavage. C’est du donnant-donnant. La république demande la paix sociale, la présence géopolitique, la Mer des Caraïbes, un marché pour les filiales françaises et leurs produits, une arrière cour pour que les Français viennent bronzer et prendre leur retraite. En face, les békés demandent la paix économique, les gendarmes en cas de blocages « paralysant l’économie du pays », la possibilité de travailler et de faire rentrer de l’argent à tour de bras, la paix de la part de Bercy et surtout pas d’émancipation politique pour les nègres.  Des mairies, des sièges de députés, de sénateurs des directeurs et des directrices de toutes sortes d’organismes, des présidents et des présidentes de toutes sortes de comités mais surtout pas d’évolution statutaire. Ça ne sert à rien.

Et ils ont leurs relais pour faire passer le message. Les convertis qui se font l’écho du message viennent de différents milieux. Parfois, ils ont des responsabilités politiques, d’autres fois, ils sont de simples citoyens. Parfois leur couleur de peau est «noire », d’autres fois, elle est « blanche ». Elle peut même être métissée. Ils viennent de communautés ethniques différentes. Leurs revenus sont parfois différents, leurs domiciles aussi. Ils votent à droite ou à gauche. Certains ne votent pas du tout. Seulement, ils ont tous le même refrain dans la bouche et se tiennent prêts à humilier ou à considérer comme des personnes fanatiques ou imbéciles quiconque ne pense pas comme eux. Leur refrain, c’est : « Hors de la totale dépendance à la république française, pas de progrès, pas de sécurité, pas de chemin ! ».

Ceux qui ont les clés de la vie économique disent tout haut : « Laissez les Noirs gérer la misère !». Dans les années 1960, leurs parents disaient : « Quand les nègres auront faim, ils vont reprendre le travail !» Et aujourd’hui encore, ils disent : « Je ne mange pas avec les nègres » ou « j’ai besoin d’un camion de nègres pour travailler. » Ils disent : «Laissez les gérer la CAF, la Sécurité Sociale, la police municipale, la poste, les ambulances, les pompes funèbres, les hôpitaux, les maisons de retraite, etc.» Mais tout ce qui touche à l’import-export, c’est nous ! On surveille qui s’installe, qui fait rentrer quoi. Le mot d’ordre, c’est : pas de facilité ni de liberté bancaire pour les chefs d’entreprises locaux. (…)

Un peuple qui n’arrive pas à tracer de nouvelles voies pour exploiter son potentiel, est entrain de mourir…

Le néocolonialisme ce sont des promotions toute l’année dans tous les magasins mais spécialement dans les supermarchés. C’est le non-respect des lois sur la publicité. C’est le matraquage de votre paysage par des panneaux 4×3. C’est l’arrivée en masse de produits de dégagement qu’on ne consomme pas ailleurs mais qui peuvent se déverser dans notre pays tranquillement et tuer encore plus les producteurs locaux, incapables de suivre les prix. C’est le poulet colonisateur comme l’a appelé un journaliste. Il joue bien son rôle et nos gens, obéissant à la loi du porte-monnaie, se jettent dessus. C’est du champagne toujours soi-disant moins cher et des magasins qui se vantent de vendre à prix « métropole ». C’est toujours l’anniversaire d’un commerce. Ce sont des prix défiant toute concurrence alors qu’il n’y a aucune concurrence sérieuse sur le port, aucune concurrence sérieuse entre les plus grosses enseignes de distribution du pays.

Le néocolonialisme c’est quand vos enfants sont avalés par la France, par ses entreprises, ses hôpitaux, les universités, ses écoles et par ses administrations. C’est quand trois générations sont confisquées au pays parce que l’une d’entre elles a été aspirée en France par le BUMIDOM. Oui, l’idée géniale du gouvernement Debré selon laquelle le pays n’avait rien à offrir à ses jeunes et que l’avenir était ailleurs ! Jusqu’à aujourd’hui, cette idée meurtrière fabrique l’imagination de beaucoup de jeunes gens au pays : l’avenir est ailleurs.  Voilà comment il fonctionne le serpent, sans jamais dire que la population de la France était elle-même vieillissante et qu’ils avaient besoin de sang neuf, de bras pour faire tourner leur grand vieux pays. Et sans un merci, pleins d’autosuffisance, ils nous regardent dans les yeux quarante ans plus tard pour nous dire que la Martinique est le plus vieux département de France.  Pourquoi elle ne peut pas seulement être un pays vieillissant comme bien d’autres pays occidentaux ? Pourquoi doit-elle encore être le dernier « je ne sais pas quoi » à l’échelle de la France ? (…) Peut-être que c’est aussi notre faute, nous. Nous qui sommes conscients des défis et qui ne déposons pas la graine dans l’esprit de nos enfants, nous qui les poussons à aller chercher leur avenir sans conscientiser sur leur rôle dans le pays. Sans leur dire que les grandes études doivent à un moment être mises au service de l’épanouissement. Oui, la route n’est pas facile mais nous devons planter.

Le néocolonialisme c’est quand vos enfants ne pensent pas leur avenir au pays parce que les perspectives peuvent être décourageantes. C’est quand leurs propres enfants naissent loin du pays de leurs parents et ne le découvrent qu’en vacances. Ce n’est pas un péché ni une fatalité mais c’est quand ils ne s’attachent pas au pays, c’est quand ils ne parlent même pas la langue du pays. C’est quand vos enfants, parmi les plus éclairés, les plus formés, les plus attachés à leur pays, cherchent à rentrer chez eux mais qu’ils ne trouvent pas de travail alors qu’à l’étranger, ils étaient en pole position. C’est quand tout est fait pour leur laisser un goût amer dans la bouche, pour les dégoûter du pays. C’est quand la majorité, les enfants sans « filons », ne peut pas bénéficier du réseau de papa et maman, des entreprises de leurs parents.

Le néocolonialisme c’est quand vous rentrez au pays avec votre diplôme d’ingénieur et que vous n’arrivez pas à trouver de poste tandis que votre camarade de promotion blanc trouve un poste facilement là où vous avez postulé. C’est quand pour avoir le poste, ce camarade doit appuyer votre candidature. C’est quand des administrations comme l’Office National des Forêts fonctionne de cette manière. C’est quand la Direction des Affaires Culturelles, la Direction départementale de l’équipement, l’Agence Régionale de Santé fonctionnement de cette manière, tous ces organismes de l’Etat. C’est quand les grands groupes recrutent au national pour favoriser l’égalité des chances. C’est quand certains d’entre eux confient leurs campagnes de recrutement à des cabinets parisiens. C’est quand les personnes qui prennent les décisions à la préfecture et dans beaucoup de services de l’État sont toutes blanches et ne se sentent pas gênées de la situation sachant qu’un poste réservé pour eux c’est un poste dont les néocolonisés sont exclus. C’est quand avoir un préfet originaire du pays n’est pas quelque chose de normal. C’est quand les forces de l’ordre ne ressemblent pas aux gens du pays. C’est quand leurs casernes ressemblent à des pays dans le pays. C’est quand nommer un ministre pays devient une façon de calmer les aigreurs et redorer le blason de la république. Sans oublier confier des dossiers empoisonnés à ces ministres des dossiers qu’ils ne peuvent pas faire à leur guise car la priorité du gouvernement et de parlement est toujours ailleurs. (…)

Une République qui n’arrive pas à se défaire des liens malsains qu’elle entretient avec les puissances d’argent aux Antilles, est une république décadente. Elle sème la mort, une mort lente, une mort qui nous vole tous les jours notre dignité.

Il est temps de dynamiter le mur néocolonial.

L’économie, la géographie, l’histoire de l’art, les langues et cultures régionales, notre légendaire débrouillardise, les hommes et les femmes du pays, l’eau, l’air, la terre, le soleil seront nos atouts et nos outils. La douleur est créatrice. La résistance chez nous est un art de vivre appris dans les conditions les plus terribles.

Dois-je rappeler aux droits-de l’hommistes remplis de France jusqu’au bord des yeux, que l’esclavage s’est arrêté sur le papier mais que le système de domination s’est simplement métamorphosé après le décret! Interdiction pour les nègres de vagabonder. Le délit est consigné dans leur sacro-sainte loi. Aucun cours de droit dans leurs plus grandes universités ne te parlera jamais de ça. Conditions de travail déplorables sur les plantations. La belle déclaration sur papier n’a pas changé le cœur des esclavagistes ni leurs intentions, ni leur position de domination. 1946 a amené son lot de changements pour nos gens sans effacer radicalement l’entreprise de domination. Les cours de droit dans leurs plus grandes universités ne te parleront jamais du décret N°5 de l’abolition la loi du 30 avril 1849. Quant à Napoléon, malgré la proclamation de l’abolition, il a envoyé ses troupes rétablir l’esclavage en Guadeloupe.  Leurs livres d’histoire considèrent nos bourreaux comme des héros. Les troupes de Napoléon se sont fait gifler en Haïti. La première république noire paye encore cette gifle donnée au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Elle paye encore parce qu’il fallait crucifier l’un d’entre nous pour que personne d’autre n’envie son exemple, pour qu’aucun autre pays sous la coupole de la France n’ait l’idée sotte de vouloir maîtriser son destin de A à Z.

Tout le monde prend du plomb derrière le mur colonial. Tout le monde, homme, femme, enfant. Libres ou incarcérés. Même les détenus dans nos prisons. Vous me direz : Rien à foutre de ceux là ! » mais attention, ce sont des êtres humains qui reviennent chargés d’une haine tenace lorsque la république les traite comme des animaux derrière les murs. Si ce n’est pas de la haine, ce sont des troubles psychiques. Ce sont des prisons surpeuplées avec un taux d’occupation de près de 140%. Ce sont de belles promesses depuis près de 30 ans. C’est Basse-Terre, une prison sur les trois établissements que comptent nos pays dont le bâtiment date de 1664.

Le néocolonialisme s’en fiche. Il s’en fiche que les sols soient irréversiblement pollués. Il s’en fiche que les ouvriers exposés à ces substances payent cash dans leur corps, par le bien le plus précieux, le plus personnel qu’un homme puisse avoir, sa santé. (…) Le néocolonialisme c’est le mépris de la vie d’une catégorie d’Antillais, le mépris de leur existence. Ce sont des gens à qui on a enseigné l’agenouillement, disait Aimé.  C’est la fabrication de l’impuissance, c’est la transformation des gaillards solides en personnes qui attendent simplement que de l’argent apparaisse sur leur compte en banque chaque mois. »

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