Le vodou haïtien, l’autre visage de la résistance

Le Vodou, originaire des croyances animistes, a subi une longue marginalisation et persécution par la pensée occidentale et le catholicisme prédominant. Bien des fantasmes, des amalgames et des confusions l’associent à la sorcellerie et l’occultisme. Par définition,  « vodou » est issu du terme de langue Fengbé « vodoun » qui renvoie aux forces divines de la Nature et aux influences de celle-ci.  Il s’agit encore d’une définition bien vague.

Aux origines d’un culte méconnu…

De quoi s’agit-il au juste ? Chants, danses, rites, invocations, dessins rituels, possessions, résistances ; tous étant les aspects d’une tradition ancestrale personnalisée. Les cérémonies spirituelles illustrent le rapport de l’homme avec les divinités, la descente des dieux sur terre ; les corps initiés deviennent ainsi des lieux de messages, de prémonitions et de pouvoirs. Parmi ses initiés, l’on retrouve les autorités spirituelles nommés manbo pour les prêtresses, et ougan pour les prêtres, qui reçoivent les lwas les esprits invisibles. Le Dieu suprême Bondyé en créole, nommé Mawu dans le culte originel, se situe au-dessus de tout et se distance des humains mais il existe d’autres divinités subalternes : le dieu de la prospérité, le dieu de la connaissance, la déesse de l’amour, le dieu messager etc… L’un des plus connus se nomme Papa Logba, dieu intermédiaire entre le Monde surnaturel et le Monde humain, autrement considéré comme le gardien des frontières. Certaines similitudes et comparaisons entre ces dernières divinités et les figures saintes de la religions catholiques se remarquent, comme Langlesou supposé être semblable à Jésus-Christ. Toutefois, la lecture d’une partie de l’histoire racontée par le monde occidental, nécessite toujours une prise de recul.

Dans le temple vodou haïtien, l’on retrouve justement le potomitan qui s’étend « de la terre au ciel, représente l’axe du monde et établit ainsi la communication entre le monde des humains et celui de dieu ». Stéphane Martelly, enseignante-chercheuse et artiste, précise à ce propos : « le potomitan désigne la structure architecturale qui soutient toute la maison et les femmes sont souvent assimilées à ces potomitans qui tiennent, maintiennent debout tout l’édifice. Le terme renvoie aussi au Vodou : le potomitan étant vraiment ce symbole au milieu du ounfò, l’espace autour duquel évoluent les croyants, les vodouisants, mambo et ougan »1 Toute la complexité de cette religion est l’objet d’études de bien des chercheurs et théologiens. (Nous pourrions écrire un livre entier sur ce culte, tant il est riche et diversifié en fonction des peuples et des communautés vodouisantes.)

Au fil du temps, la dimension médicinale du culte en question, n’a pas autant bénéficié de l’exposition médiatique. Il est si souvent oublié qu’il s’agit là d’une médecine traditionnelle aux origines africaines, dont les pratiques thérapeutiques nécessitent aussi l’intervention des lwas, ainsi que l’utilisation de plantes et d’arbres. A quelques kilomètres de cette croyance, l’idée de l’existence de guérisseurs divins s’affirme aussi dans les sociétés guadeloupéennes et martiniquaises, et s’affirme même dans le catholicisme par les faiseurs de miracles, les saints ou autres figures symboliques. En quoi, la médecine traditionnelle haïtienne, serait-elle donc différente de la nôtre?

Largement intégré au Bénin, le Vodou est importé sur nos îles par le biais de mouvements migratoires et de traites négrières vers les terres d’Amériques. A l’époque coloniale, le système esclavagiste nuit à la réputation des cultes exercés par les esclaves africains. Le désir d’assimilation et de conversion forcées des peuples noirs esclavagisés conditionne le milieu dans lequel le vaudou grandit, entre diabolisation et mystification et contre les théories complotistes des antiabolitionnistes.

Dans l’île de Saint-Christophe, un arrêt du Conseil supérieur du 23 novembre 1686, met en garde contre « les nègres sorciers et soi-disant médecins qui se mêlent de guérir plusieurs malades par sortilèges, paroles et même aussi de deviner les choses qu’on leur demande ». Quatre catégories de sorciers sont décrites dans cet arrêt : ceux qui ont « communication avec le démon… », ceux qui « usent de sortilèges, drogues par la coopération du démon, qui agit secrètement en conséquence d’un pacte » ; puis les jongleurs « qui font croire aux plus simples qu’ils les ont désorcelés… » ; enfin ceux qui « usent des remèdes naturels et ont connaissance de quelques simples » (Peytraud 1897: 187-188)

De l’interdiction du vodou haïtien à l’intégration politique de ce culte

Intéressons-nous au cas particulier de Haïti, l’île anciennement colonisée, indépendante depuis 1804. Héritée du vodou africain, le vodou haïtien réunit des rituels africains et des éléments chrétiens, mais il n’est pas le bienvenu dans cette société postcoloniale. Les historiens identifient la première cérémonie vodou, la Cérémonie du Bwa Kayiman comme « l’acte fondateur de la révolution et de la guerre d’indépendance » ; celle-ci aurait déclenché le soulèvement des esclaves lors de la nuit du 22 août 1971. La Cérémonie du Bois-Caïman est initiée par la prêtresse et femme révolutionnaire Cécile Fatiman, et le prêtre Dutty Boukman, tous deux esclaves appelant à la rébellion des peuples colonisés de “Saint-Domingue”. Cet évènement précurseur de la grande révolte, engendre quelques jours plus tard l’extermination de milliers de colons blancs et la destruction de leurs plantations. La version officielle de l’Histoire admet une estimation de 1800 plantations brûlées et près de 1000 esclavagistes blancs assassinés ; des dégâts humains et matériels qui expliquent la montée d’une paranoïa blanche à propos des religions afro-américaines. Les autres récits concernent les renversements de certains navires négriers, grâce à l’invocation d’esprits vodous ; une représentation modifiée s’observe dans la série American Gods, lorsque les esclaves brûlent un navire grâce au Dieu africain. La résistance et le marronage des esclaves noirs dans le bassin caribéen, s’étend donc jusqu’à la rupture spirituelle avec les empires coloniaux, ou plutôt l’émancipation culturelle des peuples esclavagisés.

1804 pointe le bout de son nez, et l’on assiste à l’indépendance d’un territoire renommé Ayiti, suivi d’une période de coexistence du vodou et des religions chrétiennes. Si le rôle du Vodou dans l’indépendance d’Haïti, est questionné dans l’essai de Odette Mennesson-Rigaud, c’est sûrement parce que le statut actuel de ce culte est intimement lié à l’évolution politique de l’île.

Cérémonie vodou photographiée par Marie Arago
Mask of protection, by Gael Turine

Le Concordat de 1860 signé par le chef d’état haïtien Fabre Geffrard et le Vatican constitue l’un des moments importants de la lutte « anti-superstitions » en Haïti. Le devoir de civilisation occidentale est étroitement lié au désir d’étendre la religion catholique, au sein d’un peuple Noir que l’on estime indigne de gouverner. Redoutant l’expansion des croyances populaires et « superstitions » et le « développement de pouvoirs parallèles à ceux établis »[ii], l’Etat et le clergé s’allient pour restreindre les pratiques vodouistes. Les affaires judiciaires se multiplient, au motif d’une peur générale d’un certain cannibalisme rituel nommé le zobop ! Parmi ses cold cases, l’affaire Bizoton est l’affaire la plus médiatisée et la plus révélatrice d’une propagande de l’Etat haïtien : le supposé sacrifice d’une jeune femme par ses oncles et six autres personnes lors d’une cérémonie vodou. Le 13 Février 1864, l’exécution publique des huit accusés de barbarisme et de sorcellerie, a lieu à Port-au-Prince ; Fabre Geffrard se positionne fermement. Le mythe du cannibalisme vodouiste se nourrit de l’affaire Bizoton et entâche la réputation du pays, suscitant une forme de mystère autour du culte et de ses adeptes, une forme d’étrangeté et de fascination pour les médias occidentaux. Il engendre également de nombreux écrits, où le culte haïtien devient objet d’études ethnocentriques.

Des années 1939 à 1942, la campagne antisuperstitieuse sous la présidence d’Elie Lescot, se caractérise par des actes de persécutions tels que vandalismes, arrestations, emprisonnements, conversions forcées, assassinats, destructions. Ces campagnes des rejetés menacent la survie du culte vodou, parce qu’elles visent une éradication complète de celui-ci ; toutefois, elles s’affaiblissent dans un contexte d’instabilité politique et prennent fin lors des incidents de Delmas. L’interdiction de pratique du vodou et de sa reconnaissance en tant que culte officiel, n’empêche pas l’intégration de celui-ci au sein des foyers. Le culte vodou se pratique secrètement via des cérémonies discrètes, par des initiés, en sachant qu’il n’existe pas une opposition ferme entre le culte vodou et le culte chrétien ; les vodouisants se faisant baptisés à l’Eglise catholique.

Cette volonté d’éradiquer d’un seul coup le vodou produit même des effets contraires : d’après Jacques Roumain, abattre par exemple certains arbres, « sous prétexte d’en chasser les mauvais esprits […], pour les paysans passait pour la confirmation évidente de leur existence ». Point ici de tentative de manipulation politique du vodou, comme on l’observe dans le courant des Griots, car il importait surtout de sortir des croyances superstitieuses du vodou par l’éducation formelle et l’accès à la science. Le vodou était donc vu encore comme un culte en sursis et l’on ne pensait guère lui accorder un statut de religion à part entière, à l’égal de celui des Églises protestantes et catholiques.2

Laënnec Hurbon

Le régime de Duvalier signe la dimension politique du culte vodou, qui devient désormais l’un des points essentiels de la construction identitaire d’une nation. Néanmoins, tel que l’écrit Laënnec Hurbon : « la condition de subordination par rapport au catholicisme est maintenue dans le contexte de la dictature de Duvalier : les cérémonies du vodou sont organisées par les officiels du régime pour mieux contrôler l’imaginaire populaire et conférer des assises plus durables à la dictature. »

Les intellectuels, penseurs, écrivains haïtiens ou promoteurs indigénistes luttent contre cette politique d’assimilation, et manifestent leur intention de distinguer leur culture originelle. Notons, par exemple, le roman « Mimola » (1906) de Antoine Innocent, qui illustre le vaudou et les croyances dans la culture haïtienne. Ce roman s’inscrit dans les débuts de l’indigénisme, période littéraire qui marque un tournant dans la littérature haïtienne. L’école indigéniste de Jean Price Mars émerge, alors que les prêtres vodous eux militent pour la reconnaissance de leurs croyances en créant des temples. En 1986, la création de l’association Zantray (Zanfan Tradysyon Ayisyen) par Hérard Simon témoigne d’un militantisme culturel ; une résistance qui se traduit aussi bien dans la musique locale, que dans la littérature et les arts. De l’émergence du mouvement musical “mizik razin” à la perpétuation de la tradition orale, la défense et la protection d’un culte longtemps dominé, se “politisent” ; il s’agit là d’une vraie politique de promotion culturelle.

Ainsi, il s’agit peu après d’une institutionnalisation du vodou, lorsque le Bureau de ralliement et d’appui aux vodouisants voit le jour en 1990. Le Vodou se rattache d’autant plus à l’identité nationale haïtienne, et devient indissociable de la culture et du patrimoine. Penser une religion originelle profondément enracinée, autrement dit penser un héritage culturel. favorise le sentiment d’union et le rassemblement de pensées égalitaristes et discours culturalistes de l’époque. D’autres créations apparaissent telles que la Fédération nationale des Vodouisants (FENAVO), la Commission nationale de Structuration du Vodou (CONAVO), dont l’objectif est la désaliénation et la déconstruction des influences occidentales. Alors que le Bénin reconnait officiellement le vodou comme une religion en 1993, Haïti le reconnait dix ans après. Quand à l’ approfondissement de cette réflexion, il serait judicieux de s’intéresser aux travaux de Rémulus Samuel et de Clorméus Ampidu qui analysent le renversement et la transformation de la situation culturelle d’Haïti.

Bien que bénéficiant d’une reconnaissance officielle de l’État depuis 2003, le vodou est souvent accusé par ses détracteurs d’être l’un des facteurs du sous-développement du pays. Cette situation génère des tensions au sein d’une société en pleine quête identitaire, et ravive le souvenir des persécutions orchestrées contre les pratiquants du vodou au cours des deux derniers siècles3

De nos jours, le Vodou compte des millions de fidèles pratiquants et croyants, se réunissant parfois à Saut d’eau, le point de rencontres de multiples religieux. Le premier festival international de vodou s’est déroulé du 12 Août au 14 Août 2019, réalisé pour la promotion de cette culture et la valorisation d’une interconnexion entre les territoires d’Amériques, d’Afrique et de la Caraïbe, lieux où les pratiques se poursuivent. Des voix de figures anticolonialistes s’élèvent encore à ce jour, à propos du traitement médiatique réservé à la culture religieuse haïtienne.


[1] Les Vagabonds sans trêves, Interview de Stéphane Martelly autour du potomitan, 2019

[2] Laënnec Hurbon

[3] Lewis Ampidu Clorméus,  Religions & Histoire hors-serie n° 10 Page : 30-33


Bibliographie

Ampidu Clorméus, Lewis. « À propos de la seconde campagne antisuperstitieuse en Haïti (1911-1912). Contribution à une historiographie », Histoire, monde et cultures religieuses, vol. 24, no. 4, 2012, pp. 105-130.

 Francisque Jameson « Comprendre la complexité du vaudou »   MAY 29, 2013

Clorméus, Lewis Ampidu. « Les Stratégies De Lutte contre La «Superstition » en Haïti Au XIXe Siècle. » Journal of Haitian Studies 20, no. 2 (2014): 104 25.

Dorino Gabriel Ambroise, « Le sens du vodou haïtien dans la lutte religieuse, identitaire et politique d’Haïti » dans Webzine Vol. 17 no 59 ÉTÉ 2010 

Marcelin Émile. Les grands dieux du vodou haïtien.. In: Journal de la Société des Américanistes. Tome 36, 1947. pp. 51-135 https://www.persee.fr/doc/jsa_0037-9174_1947_num_36_1_2357

Laënnec Hurbon, « Le statut du vodou et l’histoire de l’anthropologie »  Gradhiva [Online], 1 | 2005, Online since 10 December 2008, connection on 21 July 2020. URL : http://journals.openedition.org/gradhiva/336 ; DOI : https://doi.org/10.4000/gradhiva.336

Régulus, Samuel. « Transmission du vodou haïtien confrontée aux impératifs du changement et de la loyauté. » Ethnologies, volume 35, numéro 1, 2013, p. 103–123. https://doi.org/10.7202/1026453ar

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